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laPquichante Textes, dessins et photos

Je dois vous dire quelques mots à propos d’Olivier...

Eve Pée
Je dois vous dire quelques mots à propos d’Olivier...

Textes, dessins et photos de Eve Pée

Je me souviens de Charles, je m’en souviendrais toute ma vie, je n’avais jamais entendu parler de ce type de tentative de suicide, d’une violence hors norme. Ce jeune homme devait avoir environ 23 ans à l’époque où il est monté dans sa chambre au 2ème étage. Il a pris une bombe de déodorant, un briquet et il a commencé à s’enflammer le visage, le torse et les bras.

Il m’a raconté qu’il ne ressentait aucune douleur (il n’avait pourtant pris aucun stupéfiant ni alcool), qu’il est allé dans la salle de bain et qu’il a regardé tranquillement son visage « fondre », c’est le mot qu’il a employé. Alerté par la fumée et l’odeur, les pompiers sont arrivés et tout s’est ensuite très vite passé. Charles lui-même avait ouvert la fenêtre, gêné par la fumée, les pompiers n’ont eu qu’à entrer.

Ses souvenirs sont très vagues, il a été emmené immédiatement à l’hôpital, mis sous comas artificiel, il a subi de multiples greffes et son visage est … très étrange, il est difficile de lui donner un âge, on a parfois l’impression qu’il porte un masque un peu verdâtre selon la lumière.

Un jour, dans un couloir de l’hôpital, ce visage m’a terrifiée. Il m’a demandé : « Ba, qu’est-ce qui s’passe ? » et j’ai failli lui répondre que j’avais eu peur de lui, de son visage. « Rien, ça doit être la lumière, je vois mal ». Il se réfugie dans la croyance en Dieu, c’est nouveau pour lui car il ne connaissait pas les prières. Il les récite par cœur en hésitant, 10 fois par jour, chuchotant. Je lui ai souvent demandé de prier pour mon fils, il me l’a parfois proposé.

Je dois aussi vous dire quelques mots à propos d’Olivier. A l’âge de 15ans, il a essayé quelques drogues « douces », comme pas mal de jeunes d’aujourd’hui. Le problème, c’est qu’il y a laissé ses jambes. Les champignons hallucinogènes qu'il avait ingérés lui ont donné l'impression de pouvoir voler. Il est monté tout en haut d’une grue et il a sauté. Ce qui l’a sauvé, c’est le sac à dos qu’il portait. Sans lui, il aurait surement fini tétraplégique ou mort

Depuis un an, il habite à l’HP, dans l’attente d’un appartement adapté à son handicap. Il est très secret, il se plonge dans les pensées du dalaï lama et d’autres penseurs bouddhistes. Il regrettera bien longtemps cette expérience d’adolescent qu’on a presque tous fait mais qui lui a valu d’être cloué jusqu’à la fin de sa vie sur un fauteuil roulant. Il a sa routine, il semble serein car on s’habitue à tout, même au pire.

Je suis restée dix jours là-bas, j’avais ma chambre individuelle.


Dans les couloirs de l’hôpital, il y avait les noirs recoins abritant les « chambres d’isolement»… Les pensionnaires de ces étranges chambres frappaient aux portes, criaient presque sans arrêt. Bizarrement, on évitait de passer trop près de ces portes, elles avaient quelque chose d’effrayant. Un jour, une vieille dame a été mise en isolement. Toute la journée, nous l’avons entendu et ces cris étaient abominables, dignes des pires films d’horreur, des hurlements de frayeur pure.

J’avais envie de pleurer pour elle, je ne comprenais pas pourquoi ils ne la soulageaient pas avec une « camisole chimique » comme ils disent, elle n’en finissait pas comme si un démon était en train de visiter sa chambre. Ce jour là, tous les patients ont été choqués par les cris de cette vieille dame. Pauvre femme, enfermée physiquement, enfermée mentalement…

Lors de mon deuxième séjour à l’HP, j’ai eu l’honneur de visiter les fameuses chambres d’isolement. Et j’ai compris. J’ai compris la solitude, j’ai compris que personne ne vient quand on frappe à la porte à s’en faire des bleus aux mains, quand on crie à s’en briser la voix. Et j’ai regretté de ne pas avoir eu le courage d’être allée voir un isolé pour lui dire « je suis là, ne t’inquiète pas les infirmiers vont venir bientôt ».

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